Le droit de se taire et l’information du droit de se taire du salarié dans les procédures disciplinaires

Le droit de se taire, entendu comme la faculté de ne pas s’auto-incriminer lors d’une procédure disciplinaire, soulève une question fondamentale en droit du travail : ce droit, consacré dans le champ pénal et récemment reconnu dans la fonction publique, s’impose- t-il également dans la relation de travail de droit privé, et plus spécifiquement lors de la mise en œuvre d’une sanction disciplinaire ? 

L’employeur doit-il informer le salarié de son droit de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire ?

L’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 prévoit : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

Le droit de se taire dans la fonction publique

Le droit de se taire ou de garder le silence, autrefois réservé à la procédure pénale, a été introduit dans la procédure disciplinaire des fonctionnaires.

La reconnaissance du droit de se taire comme droit fondamental trouve son origine dans une décision du Conseil constitutionnel du 04 octobre 2024 qui consacre le droit de se taire comme une garantie fondamentale applicable à toute procédure disciplinaire ayant un caractère punitif, dans le cadre de la fonction publique.

Le Conseil constitutionnel retient : « Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. »

Le droit de se taire permet à l’agent de ne pas s’auto incriminer et de ne pas répondre aux questions s’il le souhaite dans le cadre de la procédure disciplinaire. L’agent doit être informé de ce droit dans le cadre de la procédure disciplinaire, à défaut elle encourt la nullité. Un flou demeure quant au moment où ce droit doit être porté à la connaissance de l’agent. A ce jour, il est établi que l’agent doit être informé avant son passage devant le conseil de discipline mais il se peut que des décisions futures viennent préciser le moment exact de l’information du droit de se taire à l’agent.

La décision rendue par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la fonction publique n’est cependant pas transposable en droit du travail.

Le droit de se taire en droit du travail ?

Tout d’abord, la spécificité du droit du travail, marqué par le lien de subordination et la nécessité de préserver l’ordre dans l’entreprise, impose une analyse nuancée, à la lumière des dispositions légales et de la jurisprudence applicable.

Lors de l’entretien préalable à un licenciement ou à une sanction disciplinaire moindre, l’employeur doit seulement indiquer au salarié les motifs de la décision envisagée et recueillir ses explications.

Le Code du travail ne prévoit pas explicitement l’obligation d’informer le salarié de son droit de se taire lors de cet entretien mais assure le respect du principe du contradictoire de même que le respect des droits de la défense.

En effet, l’article L1332-1 du Code du travail prévoit : « Aucune sanction ne peut être prise à l’encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui. »

L’article L1332-2 du Code du travail prévoit : « Lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation […] Au cours de l’entretien, l’employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié. La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien. Elle est motivée et notifiée à l’intéressé »

Aucun de ces textes n’énonce explicitement le droit du salarié de se taire lors de la procédure disciplinaire mais encore moins l’obligation faite à l’employeur d’informer le salarié du droit de se taire

Une évolution à venir ?

Les dispositions légales vont très certainement connaître une évolution concernant le droit de se taire du salarié dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

Par une décision n°502832 du 18 juin 2025, le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité aux fins de lui demander de se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions du Code du travail relatives à l’entretien préalable.

Par une décision du 20 juin 2025, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative au droit disciplinaire. Il lui est demandé de trancher sur deux questions :

  • « Les dispositions de l’article L.1332-2 du code du travail, en ce qu’elles ne prévoient pas la notification aux salariés faisant l’objet d’une sanction disciplinaire, de leur droit de se taire durant leur entretien, portent-elles atteinte aux droits garantis par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »
  • « Les dispositions combinées des articles L.1232-3 et L.1332-2 du code du travail, en ce qu’elles ne prévoient pas la notification aux salariés faisant l’objet d’une procédure de licenciement disciplinaire, de leur droit de se taire durant leur entretien préalable, portent-elles atteinte aux droits garantis par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »


Le Conseil constitutionnel dispose d’un délai de trois mois pour y répondre.

Dans le cas où le Conseil constitutionnel rendrait une décision similaire à celle rendue dans le milieu de la fonction publique et consacrerait un droit de se taire du salarié dans une procédure disciplinaire, cela serait de nature à bouleverser les pratiques aussi bien procédurales que rédactionnelles, principalement en matière de licenciement disciplinaire, mais également pour des sanctions moindres dès lors qu’elles sont soumises à des garanties procédurales.

La question du moment de l’information au salarié de son droit de se taire est cruciale. L’employeur devra prendre des précautions évidentes à cet égard en la mentionnant dès la convocation à l’entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.

A considérer que le silence est un droit du salarié, l’employeur ne pourra pas en faire état comme un grief dans la motivation du licenciement. 

Enfin, une sanction disciplinaire notifiée à un salarié, sans l’avoir informé de son droit de se taire, sera-t-elle de facto considérée comme nulle ? Certainement, mais il se peut qu’il faille opérer une distinction selon que l’absence d’information sur le droit de se taire au salarié aurait eu une incidence déterminante sur la motivation de la sanction ou non.

Beaucoup de questions restent en suspens mais des réponses devraient nous être apportées dans les prochains mois …