Lorsque vous êtes confronté à la dénonciation de faits de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel au travail, une enquête devra être réalisée. Oui mais voilà : on ne s’improvise pas enquêteur. Alors, comment doit être menée l’enquête, existe t’il des pré-requis ? Quelle est la légitimité du rapport d’enquête qui sera remis à l’employeur? Autant de questions qui peuvent avoir un impact lourd sur la décision qui sera prise par l’employeur.
Vous vous demandez à quoi sert l’enquête interne dans les affaires de harcèlement au travail?
Vous vous interrogez sur la finalité d’une enquête interne : Faire la lumière sur les faits dénoncés, c’est à dire identifier, le cas échéant, les faits de harcèlement. Dans un arrêt de 2011, la Cour de cassation indique que l’intérêt de l’enquête est d’avoir » la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de lampleur des faits reprochés ».
L’employeur est-il obligé de mener une enquête interne?
Cette prérogative appartient à l’employeur, au titre de son obligation de prévention des risques professionnels, rappelée par l’article 4 de l’ANI du 26 mars 2010 et prévue par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail. De nombreuses décisions ont consacré l’obligation de l’employeur de diligenter une telle enquête, qui doit être menée dés qu’il a connaissance de la dénonciation (Chambre sociale, 27 novembre 2019, 18-10.551).
La Loi SAPIN 2 a également prévu l’obligation pour les entreprises de plus de 50 salariés, de mettre en place un dispositif d’alerte professionnel, pouvant induire la réalisation d’une enquête interne.
Mais il existe des cas où l’employeur sera amené à mener une enquête avec un membre du CSE, à la demande du CSE. (article L 2312-59 du code du travail). Le CSE pourra également demander à ce que l’enquête soit menée par un cabinet externe et, s’il souhaite qu’elle soit financée par l’employeur, ce cabinet devra être habilité ou agréé par le ministère du travail (article L 2315-94 du code du travail)
Vous aimeriez que votre enquête soit inattaquable, y a t’il une recette ?
En 1991, la commission européenne a posé un certain nombre de critères indispensables :
- l’enquête doit être indépendante et objective
- les enquêteurs ne doivent pas être liés, d’une quelconque manière que ce soit, aux affirmations
- les plaintes doivent être résolues rapidement
C’est pourquoi il a été jugé, par exemple, que l’enquête menée par l’employeur de façon unilatérale, partiale et déloyale doit être écartée des débats (soc 9 novembre 2017 n°16-15515).
Quelle légitimité peut-on donner à une enquête interne?
Vous souhaiteriez connaître la légitimité de l’enquête interne menée par des membres du personnel, qu’ils soient ou non, membres du CSE.
Est-il sérieux de confier à des salariés placés sous la subordination de leur employeur, une enquête. Quel est leur degré d’indépendance ? Quel est leur degré d’objectivité ? Il y a là un point évident de fragilité, par rapport aux préconisations européennes. Et même si l’on ne peut parler de présomption irréfragable de dépendance ou de subjectivité, il existe néanmoins une présomption simple, ne serait-ce qu’au regard de la définition de ce qu’est un contrat de travail.
Est-il sérieux de confier à des salariés dont ce n’est pas le métier, des auditions ? Comment vont ils orienter leurs questions ? Comment vont ils déjouer les méandres de l’argumentation d’un pervers narcissique ? Comment vont ils poser des questions sans idée préconçue? Confieriez vous à un salarié, non qualifié pour cela, une enquête sur un problème technique ? Alors pourquoi traiter différemment le harcèlement moral ou sexuel au travail ? N’est-ce pas une fois de plus, ne pas prendre vraiment au sérieux des faits qui peuvent avoir un impact très négatif sur la vie des travailleurs ainsi que sur l’entreprise.
Pour ma part, je ne suis pas certaine que les critères d’indépendance et d’objectivité préconisés par la commission européenne soient respectés par des enquêtes menées par des salariés , qui plus est, non qualifiés. Et à la place de la défense j’exploiterais cet argument pour mettre à mal l’enquête sur laquelle reposerait le licenciement de mon client.
Autrement dit, l’employeur a tout intérêt a sécuriser l’enquête interne, si’l veut également sécuriser le licenciement qu’il décidera peut-être sur la foi de cette enquête.
Vous vous demandez quelles sont les règles à respecter.
Pour sécuriser une enquête interne, il est indispensable de respecter les préconisations de l’accord cadre européen de 2007 sur le harcèlement et la violence au travail
- agir avec discrétion pour préserver la dignité et l’intérêt de chacun
- ne pas divulguer d’information aux parties qui ne sont pas impliquées dans l’affaire Rappelons que les accusations de harcèlement largement diffusées exposent à une action judiciaire en diffamation (cassation criminelle 26 novembre 2019 n°19-80360)
- entendre les parties de façon impartiale
- faire bénéficier les parties d’un traitement équitable
Dans sa recommandation du 27 novembre 1991 (pré-citée) la commission européenne ajoute :
- accorder au plaignant et à la personne incriminée, le droit d’être accompagné et/ou de se faire représenter
- informer la personne incriminée des détails concernant la nature de la plainte
- donner à la personne incriminée la possibilité de répondre au contenu de la plainte
L’ensemble de ces préconisations devra donc être suivi.
L’impartialité et l’équité , deux points de fragilité de l’enquête à ne pas négliger
Même si la volonté des enquêteurs est de se monter impartial et équitable, dans les faits et en situation, la pratique n’est pas évidente.
Sans méthode, sans professionnalisme, les enquêteurs sont ils en capacité de faire abstraction d’un quelconque jugement à la suite d’une audition et avant d’en réaliser une prochaine ? L’audition de la victime qui se déroulera nécessairement avant celle des témoins et de la personne incriminée, n’influencera t’elle pas les enquêteurs? Sont-ils armés pour ne subir aucune influence, y compris de la part de l’employeur?
Comment ne pas orienter les questions dans un sens ou dans l’autre?Comment ne pas se montrer inquisitorial pour arriver à ses fins?
La recherche des faits nécessite une méthode permettant aux personnes entendues de s’exprimer librement.
Comment ne pas aller trop loin dans les mesures d’investigation ? la vie privée des salariés doit être respectée et il ne saurait être question, par exemple, d’aller vérifier les comptes bancaires du salarié incriminé. C’est en ce sens qu’a jugé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 2 mars 2020.
L’enquête doit être également menée de façon contradictoire Cour d’appel de Rennes du 19 février 2021 n°17/08970.
La présentation de l’enquête
L’enquête devra indiquer avec précision son objet et sa finalité et présenter la méthode utilisée .
Si elle est réalisée par des salariés, le plus simple sera de retranscrire les questions et les réponses apportées, sans les tronquer. Une pièce d’identité et la signature de la personne entendue à la fin de la retranscription de son audition est conseillée.
Si l’enquêteur est un professionnel extérieur, la méthode peut être différente , mais elle devra être décrite.
Il conviendra également d’indiquer les informations préalables portées à la connaissance des personnes interrogées et notamment relativement à la RGPD, qui peut , elle aussi fragiliser l’enquête.
L’analyse juridique des éléments recueillis permettra d’identifier ou non l’existence de faits de harcèlement et le cas échéant, de les caractériser.
Enfin, une conclusion pourra être apportée.
Conclusion
Il existe encore peu de jurisprudences relatives aux enquêtes internes. Mais elles commencent a être prises pour cibles par les défenseurs des salariés licenciés pour des faits de harcèlement moral ou sexuel. L’édification des règles va être réalisée progressivement par la jurisprudence et il est donc essentiel de veiller à ne pas en subir les frais. Pour ce faire, respecter les principes édictés au niveau européen et l’ANI de 2010 est un minimum requis. Faire appel à des professionnels indépendants , soumis à une déontologie semble être le minimum requis pour assurer la fiabilité de telles enquêtes. S’en suit, l’adaptation de méthodes respectueuses des droits de chacun où l’amateurisme n’a pas sa place.
Nathalie Leroy avocate www.her.eu.com